Pris entre la peur de perdre leur complicité et la gêne de se trouver confrontés à la sexualité de leur adolescent, les parents ont du mal à se positionner clairement. Quelques pistes pour les aider à prendre une décision en toute connaissance de cause.
- Comment décider ?
- Des enjeux psychologiques majeurs
- Le courage de dire non
- Un oui sous condition
- Mathias, 17 ans : « Leur refus m’a beaucoup déçu »
- Pascale, 46 ans : « Un moyen pour ma mère de contrôler ma vie »
Comment décider ?
"Marine peut-elle rester dormir ?" m’a demandé l’autre jour Louis, mon fils de 17 ans, devenu un homme sans que je m’en aperçoive. Malaise. Sa petite copine est charmante, ils semblent très amoureux, mais ai-je vraiment envie de les imaginer s’ébattre à deux pas de ma chambre et de la croiser dans ma salle de bains ? »
Depuis, Marie, 45 ans, se perd dans mille et une tergiversations. Face au désir de leur enfant de faire l’amour sous leur toit, les parents d’aujourd’hui, plus complices avec leurs adolescents qu’autrefois, sans doute aussi plus libérés sur le plan sexuel que ne l’étaient leurs propres parents, ont du mal à trancher. Dans un sens ou dans l’autre.
Des enjeux psychologiques majeurs
Il faut dire que la plupart des ados considèrent leur chambre comme un studio : ils trouvent naturel et confortable d’y vivre leur vie intime, parallèlement à leur vie familiale. C’est donc sans détour qu’ils posent la question à leurs parents. Mais si leur demande est directe, leurs motivations inconscientes peuvent être plus complexes qu’il n’y paraît.
L’apprentissage de l’amour est quelque chose d’un peu effrayant pour les jeunes. En posant la question, ils demandent inconsciemment à leurs parents l’autorisation de mener une vie amoureuse et de valider leur choix. Ceux qui imposent leur petit(e) ami(e) le font eux aussi, mais sur le mode de la provocation. Il ne faut pas laisser passer ces amorces de dialogue, car les adolescents ont besoin d’être éclairés, avec délicatesse, dans le respect de leur intimité et de leur choix ».
Exprimer le désir de vivre sa vie amoureuse dans la maison familiale peut également traduire une angoisse de séparation. C’est l’intime conviction de la psychologue Béatrice Copper-Royer, auteure de Premiers Émois, Premières Amours (Albin Michel) : « La sexualité marque l’entrée dans l’âge adulte, rappelle-t-elle. C’est une étape capitale, irrémédiable, vers la séparation, que les jeunes appréhendent. Faire l’amour dans sa chambre d’enfant, c’est rassurant, c’est être grand tout en étant petit. » Ce qui signifie que répondre favorablement à cette demande de sécurité n’encourage pas leur prise d’autonomie.
« La sexualité ne se donne pas, assure le pédopsychiatre Marcel Rufo, auteur de Tout ce que vous ne devriez jamais savoir sur la sexualité de vos enfants (LGF, Le Livre de poche). C’est une conquête qui s’arrache et relève de la liberté individuelle. Comment pourrait-elle se conquérir sous le toit parental ? C’est aussi une construction personnelle, qui comporte de nombreuses étapes avant le passage à l’acte. Les parents d’aujourd’hui, croyant être modernes, manquent de pudeur et se comportent comme des hommes des cavernes ! » Huit ans plus tard, Annick, 26 ans, se souvient avec gêne des préservatifs glissés par la mère de son petit copain de l’époque au milieu des bonbons Haribo, sur sa table de nuit.
Le courage de dire non
L’embarras peut aussi être du côté des parents. Lorsqu’ils ont, par exemple, le sentiment d’officialiser prématurément un « bébé couple ». Ou lorsqu’un simple « Dors bien » de la part des amoureux leur rappelle qu’ils ne vont pas dormir, justement. Mais inutile de se mentir : la proximité place, de fait, les pères et les mères dans une position de voyeurs, plus ou moins consentants. « J’ai toujours interdit à mes enfants de dormir en couple à la maison, affirme Frédérique, 51 ans. L’amour est quelque chose d’intime, de secret, qui ne s’expose pas, encore moins en famille. Quand j’avais leur âge, je me débrouillais pour le faire en cachette de mes parents, lorsqu’ils sortaient le soir ou partaient le week-end. »
Ce principe est unanimement partagé par les psys : entre la sexualité des ados et celle de leurs parents, la frontière doit rester étanche. Chacun doit ignorer ce qui se passe dans la chambre d’à côté. « Nous n’avons pas à nous préoccuper de la vie sexuelle de nos enfants au-delà des recommandations d’usage – contraception, sida, maladies sexuellement transmissibles… – et du rappel de l’importance du sentiment amoureux, insiste Daniel Coum.
La règle générale, d’un point de vue anthropologique et non moral, est qu’elle se déploie à l’extérieur de la famille. » Si de nombreuses personnes sont conscientes qu’abriter les amours de leurs ados n’est pas aussi simple qu’il y paraît, la plupart d’entre elles ont du mal à poser un non clair et net. Par peur du conflit, de peiner leur enfant, de ne plus être aimées de lui, d’avoir l’air vieux jeu…
Comment faire passer au mieux un refus ? « Le plus simplement du monde, conseille le pédopsychiatre Daniel Marcelli, auteur de C'est donc ça l'adolescence (Bayard). En leur expliquant que vous êtes chez vous et que cette situation vous met mal à l’aise : ce n’est pas leur sexualité qui est condamnée, mais le fait qu’elle s’exprime près de vous. Ce qui est important, c’est de faire les choses comme nous les sentons. Pourquoi se forcer si cela nous ennuie, pourquoi refuser si cela ne nous dérange pas ? «
Un oui sous condition
Certains acceptent sans réticence ces amours juvéniles. « La sexualité est un plaisir naturel, sain, pourquoi en priver ma fille ? s’étonne Véronique, 52 ans. Peu importe qu’elle s’exprime ici ou ailleurs. Et j’aime autant qu’elle fasse l’amour dans de bonnes conditions. » « De bonnes conditions », il en faut également sous le toit parental, si l’on estime normal de recevoir les petits amis de son enfant, estime la psychologue Maryse Vaillant, auteur de L'adolescence au quotidien (Pocket, Evolution). « Si la maison est grande, que les murs sont épais et que l’intimité de chacun est préservée, pourquoi l’interdire ? Il suffit de poser quelques limites pour ne pas se laisser envahir : une fois de temps à autre, pas tous les jours ! » C’est ce que Marion, 43 ans, et Thomas, 51 ans, ont fini par accepter l’été, dans la grande maison qu’ils louent en Provence. « Nous sommes trois couples avec enfants. Notre fils et sa copine sont “noyés dans la masse”… Mais à Paris, pas question, ils se débrouillent ! »
« Aucun cas n’est semblable à un autre, relativise le psychiatre et psychothérapeute de couple Serge Hefez. Certains adolescents vivent sereinement leur sexualité à la maison, parce que les limites générationnelles sont clairement posées et les murs psychiques suffisamment épais. D’autres apprécient, à terme, que leurs parents ne les maintiennent pas sous leur dépendance. Ces derniers ne doivent pas aller à l’encontre de leurs propres valeurs et convictions, ils ne doivent pas se forcer pour continuer d’être aimés. Ce que les jeunes apprécient avant tout chez eux, c’est l’authenticité et la cohérence. » Même si cela doit occasionner conflits, critiques et grincements de dents. Rien n’interdit enfin de partir en week-end de temps à autre, et de confier la maison aux tourtereaux, libérés alors du poids tutélaire parental.
Mathias, 17 ans : « Leur refus m’a beaucoup déçu »
« Je sors avec ma copine depuis huit mois, mes parents l’apprécient beaucoup. Je croyais vraiment qu’ils ne me considéraient plus comme un bébé. Il y a trois mois, j’ai demandé à ma mère si Léa pouvait rester dormir à la maison. Elle m’a répondu : “Pas question !” d’un ton choqué, et elle s’est reprise en m’expliquant que ça les gênait, qu’il ne fallait pas précipiter les choses. Je lui ai répondu qu’elle me considérait encore comme un gamin, elle a nié. Mais je suis persuadé qu’elle ne veut pas me voir grandir. Je n’ai plus invité Léa à la maison, comme ça, au moins, les choses sont claires. Cette histoire a créé un certain froid. J’ai un peu l’impression de m’être fait des illusions sur leur côté cool, super compréhensif, alors qu’en réalité ils sont quand même un peu rigides. »
Pascale, 46 ans : « Un moyen pour ma mère de contrôler ma vie »
« J’ai toujours ramené mes petits copains à la maison. À l’époque, je trouvais ça génial, mes copines m’enviaient. Plus tard, j’ai réalisé que c’était un moyen pour ma mère de contrôler ma vie affective. De s’y incruster, même : une fois, je l’ai trouvée en train de prendre le thé avec un petit ami avec lequel j’avais rompu ! En réalité, elle n’arrivait pas à se positionner comme parent. Elle n’y arrive toujours pas, d’ailleurs… Quand je demande à la petite amie de mon fils de dormir dans la chambre d’amis (peu importe ce qu’ils font en mon absence !), ma mère me traite de réac. Mais pour moi, un couple ne se construit pas sous le regard des parents. »
Anne Lanchon