L' habitat

L’Habitat par Isabelle Taubes

La maison, le lieu de tous nos états

La fonction première de notre maison est de nous abriter. Mais inconsciemment, c’est aussi et surtout un prolongement de notre moi et de notre corps.

Face à un danger imminent, on dit qu’il y a péril en la demeure. D’une personne totalement déboussolée, on dit qu’elle ne sait plus où elle habite. Lorsque quelqu’un agit de manière insensée, on dit qu’il déménage. La sagesse populaire vient conforter les intuitions de la psychanalyse quand elle met en relation nos états intérieurs et notre "intérieur". Selon elle, c’est l’animal en nous, avec ses instincts, son odorat, qui s’exprime lorsqu’il s’agit de s’installer dans ce territoire privé qu’est notre habitation.

« Pour se regrouper, se protéger et se distinguer des autres, toutes les espèces animales ont besoin d’un territoire qu’elles imprègnent de leur odeur, de leurs habitudes, constate la psychanalyste Nathalie Menant. La nôtre ne fait pas exception. »

Se “sentir” chez soi

Emménager dans un nouvel appartement, c’est en premier lieu éliminer les traces de l’ancien occupant. « J’ai hésité à prendre mon appartement à cause de l’odeur d’eau de Javel que semblait affectionner l’ancien locataire, se souvient Nadia. Or, pour être bien chez moi, je dois avoir l’impression qu’aucune odeur autre que la mienne ne flotte dans l’air. D’ailleurs, les jours où la femme de ménage vient, mon premier geste le soir quand je rentre est d’ouvrir les fenêtres en grand. »

« Se sentir chez soi, c’est d’abord réussir à imprégner ce lieu d’effluves odorants familiers, confirme Pierre Soler, psychologue. Notre habitation devient ainsi une part de nous-même à laquelle nous pouvons nous identifier. » Ce n’est donc pas un hasard si nous l’appelons notre "intérieur".

Une seconde peau

Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’obligation de quitter son lieu d’habitation est toujours un traumatisme. A notre époque caractérisée par la précarité, le chômage et l’endettement, il est rassurant de pouvoir penser : « Quoi qu’il arrive, je suis propriétaire de mes murs, je garderai un toit, une protection sur la tête. »

Les rares psys qui ont travaillé avec les sans domicile fixe constatent que la privation d’un chez-soi est toujours catastrophique. « Atteint dans son intégrité psychique, dans son identité, l’individu peut sombrer dans une pathologie tant psychologique que somatique ». 

En cas d’effraction ou d’intrusion (vol, perquisition), les murs perdent leur rôle protecteur de seconde peau et l’angoisse surgit immédiatement. « Après avoir été cambriolée, j’ai fait des cauchemars pendant des mois. J’avais la sensation d’avoir été souillée, violée, explique Dominique. De plus, les cambrioleurs avaient laissé une énorme crotte au milieu du salon. C’est une signature fréquente, m’a dit le commissaire, une façon de dire : “Chez toi, je suis chez moi.” »

Mais « une simple petite fuite d’eau peut également être vécue comme un danger pour notre intégrité, souligne Pierre Soler. Surtout si elle est causée par des voisins ». Même chose pour les bruits du dehors, susceptibles d’entraîner un sentiment de persécution, de rendre paranoïaque quand ils sont trop envahissants. Tout cela renvoie à l’idée du philosophe Heidegger pour qui « être, habiter et penser » sont une seule et même chose.

 

 

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